« Mais... T'as vécu sans eau chaude, ni télé, ni téléphone et sans internet pendant 18 ans ? C'est de la folie ! »
« T'as vu. Mais dès que j'en ai eu l'occasion, je me suis cassée et j'ai vite rattrapée le temps perdu dans cette putain de famille. »

Une cigarette coincée entre des lèvres fines et roses, se consommant lentement. Un air dédaigneux et blasé sur le visage angélique d'une jeune femme de vingt-trois ans. Las de raconter sa misérable vie aux gens, surtout las de voir leurs expressions de surprise, un air idiot et désolé sur leur tronche. Néanmoins, Esther sourit à son interlocuteur : un beau garçon de bonne famille surement en quête d'une fille avec qui tirer un coup. Elle est ok, mais il a insisté pour qu'elle lui narre sa vie : une question posée sur un ton charmeur, un sourire accompagnant le tout. Abrutit mais sexy. Alors Esther capitula et décida, rien que pour l'emmerder, de tout raconter sur elle ! Quant elle eut fini de balancer sa vie à un inconnu, elle en était à sa quatrième cigarette parce que sa vie est longue, très longue malgré son jeune âge.

Née dans une communauté Amish, de parents très pieux et persuadés des bienfaits d'une vie recluse, d'une vie loin de toutes technologies et aspects néfastes de la modernité. Esther, un agréable petit rayon de soleil et calme comme une image. Après tout ce n'est pas à un an que l'on va regretter ce que nous n'avons jamais connu. Vivre dans les champs, porter des robes à la Ingals et aller à l'église : cela lui semblait merveilleux et elle n'aurait voulu pour rien au monde partir de là-bas. Aller à l'école avec les autres enfants, ceux qui portaient des jeans et écouter leurs walkmans, elle n'aimait pas car on se moquait d'elle. Peut-être est-ce pour cela qu'elle a voulu partir, les enfants peuvent être si méchant ! Elle n'avait pas le droit de se plaindre, son père lui n'avait jamais été à l'école lui disait-on. Bah, elle aussi elle aurait préféré ne pas y aller. Le pire était de résister à cette jalousie qu'elle avait à l'égard des autres, eux ils avaient le droit de faire de la musique, de danser et de lire ce qu'ils voulaient. Ils pouvaient aussi regarder la télé, aller au cinéma. Chez elle ils n'avaient même pas d'électricité. Qu'est-ce qu'elle enviait leurs vies confortables, et pourtant elle savait que c'était mal et Esther ne voulait pas être blâmer. Elle s'en rendait malheureuse, puis vint son Rumspringa à l'âge de seize ans. Elle refusa de partir de chez elle, trop peur de succomber à la tentation et de ne jamais revoir sa famille. La jeune amish resta chez elle et aida sa famille à la ferme. Pourtant lors de ses dix-huit ans, sa meilleure su la convaincre de partir avec elle à Philadelphie. Devant les yeux larmoyants de son amie, qui ne voulait pas partir seule, elle céda à son plus grand malheur... ou pas.

« Non mais non, c'est trop bien que tu sois restée en ville... Je ne t'aurais pas rencontré sinon ! »
« Je sais. »

Elle écrasa sa cigarette dans le cendrier. De l'amertume dans son ton. Beau-parleur, beau-parleur : elle les aimait bien les gars comme ça parce qu'elle était toujours flattée, même si ce qu'ils disent en général c'est du flanc.

Voitures. Magasins. Roller. Bus. Métro. Soirées. Alcools. Drogues. Télévisions. Cinéma. Tout ça : c'était tellement bon, tellement agréable ! Mieux que n'importe quoi, mieux que tout ce qu'elle avait connu ! Mieux que sa famille, mieux que les walkmans qu'elle avait vu à l'école, mieux que sa vie. Très vite, Esther s'est liée d'amitié avec pas mal de jeunes, elle a trouver où loger et où passer les meilleures nuits de sa vie. Mais tout ce qui est bien a une fin, Johanna -sa meilleure- n'a pas du tout aimé ce mode de vie, et a insister pour rentrer et demander son baptême pour ne plus jamais repartir de la communauté. La jeune fille est retournée chez elle, s'est faîte baptisée en même temps que sa camarade de voyage. Mais plus le temps passait, plus Esther était triste et énervée. Elle fugua, elle fut alors bannie, donc et retourna chez son ami : Freddie, un dealer qui est tout sauf responsable. Son premier amour, sa première fois, son premier malheur. Amoureuse et heureuse malgré des conditions de vies déplorables, Esther voyait la vie en rose mais aveugle : son dealer de copain devenait violent, abusée d'elle. Puis, heureusement pour elle, il mourut d'une overdose. Bien sûre, la jeune fille en fut inconsolable et se retrouva seule mais bien vite elle reprit pied. Elle se trouva un petit boulot de serveuse. Un nouveau départ.

Blasée de son train-train quotidien, de voir toujours les mêmes visages : elle décida de trouver un nouveau boulot. Et quoi de mieux que de travailler sur un bateau ? Elle voyagerait tout en étant payé. La classe, non ? Peut-être pas pour vous mais pour elle : oui, ça l'est. Elle fut engagée comme serveuse sans grand problème et sa chambre lui parut comme un château, tellement différent de son petit studio miteux ! Et les garçons, et bien... ils sont loin d'êtres horribles.